ANGÈLE CAUCANAS
Un jour, elle est partie. Elle est partie loin, parce qu’ici, elle n’existait pas. Pas vraiment. Pas bien. Pas entièrement. Angèle Caucanas a quitté le territoire originel pour devenir étrangère. S’exiler pour ne pas renoncer à soi. S’arracher pour devenir.
Se révéler ailleurs parce qu’ici personne ne regarde. Personne n’écoute ni ne comprend. Ici, la conformité, la médiocrité et la perversité ont refermé, sans scrupule, les œillères du monde. Debout, au pied, couché, à ta place ! Être ce que l’on dit d’être, répondre à des injonctions qui n’ont pas de sens, payer pour les autres, plier, encaisser…
Se déraciner n’a rien de facile. Peu d’entre nous se lèvent un matin en se disant, « Tiens, aujourd’hui, je pars à New York avec trois slips et je trace sans me retourner ». Non. Bien sûr que non.
La décision est souvent douloureuse comme une fracture ouverte. Elle demande une grande honnêteté avec soi-même, une clairvoyance perçante de ses aliénations et de ses fléchissements, parce qu’à ce moment-là, l’on croît toujours, qu’il doit y avoir un prix à payer pour sa liberté. On s’imagine que pour s’affranchir, il faut rompre avec ces caresses viscérales, qui nous étaient jusqu’ici vitales et sacrées, et qu’un sacrifice sera exigé en contrepartie. Sauf que vous ne le savez que trop bien… Si l’on persiste dans l’abandon et l’amaurose, on peut mourir de chagrin.
La plus cruelle maltraitance, c’est d’accepter de renoncer à ses rêves. Se renier au point de disparaître par loyauté ou par chantage pour protéger un inavouable qui, souvent, ne nous appartient même pas. Courber par réflexe à l’appel du loup, céder aux morsures de la meute, se tapir pour que les culpabilités cessent…
Il suffirait pourtant de renverser les points de vue, renvoyer la responsabilité à qui de droit et de faire un pas de côté pour se rendre compte que tout ceci n’est que croyances. Tout dépend de la place que l’on choisit de prendre.
Pour partir, il faudra descendre dans ses peurs, aller au-delà de soi et de se faire confiance. La prise de risque est abyssale. Mais c’est une nécessité de vie. S’expatrier, ce n’est ni fuir ni abandonner. C’est juste aller se vivre un temps, ailleurs, plus fort. Se jeter dans une masse d’épidermes et de cultures différentes. C’est juste quitter l’enfance, couper soi-même son cordon ombilical et se construire selon ses propres dogmes.
Curieusement, là-bas, on s’aperçoit que si nous sommes désormais étrangers, nous ne le sommes plus à nous-même… Il fallait cela pour s’autoriser sa propre normalité, définir un horizon flamboyant et trouver ses propres couleurs. Au fil des matins, des lumières et des parfums, la révélation prend forme. Le territoire se jalonne tout seul. Ce n’est plus qu’une question d’intégrité. Une fois, la vérité exposée, la pellicule sera marquée à vie, aussi brûlante qu’un nouvel ADN.
Sans compromis, Angèle Caucanas a ainsi réapprit à vivre. Patiemment. Observer. Pieusement. À photographier. Intrinsèquement.
Choisir sans sacrifice, car c’est la seule chose que la vie ne pardonnerait pas. La vie est une redoutable magicienne. La vie, c’est certainement la plus belle histoire d’amour que l’on peut souhaiter à quelqu’un. Une révélation bouleversante qui vaut toutes les jouissances du monde. Exister, c’est savoir qui nous sommes, comment nous voulons traverser le Temps et quelle trace nous voulons laisser de notre passage. C’est un devoir que nous ne devons qu’à nous-même. Alors, réfléchissez-bien avant de répudier votre liberté. Rien n’est impossible, we can be heroes…